Aux termes de la présente décision, l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») sanctionne les sociétés Schneider Electric, Legrand, Rexel et Sonepar, actives dans le secteur du matériel électrique basse tension, pour avoir pris part à des pratiques verticales de fixation du prix de revente dans le cadre du mécanisme dit de « dérogations » prévu dans les contrats-cadres annuels conclus pour la distribution des produits de Schneider Electric et Legrand.
La première entente implique Schneider Electric et ses distributeurs, Rexel et Sonepar. La seconde entente implique Legrand et Rexel.
Ces pratiques ont notamment été révélées lors d’une information judiciaire, ouverte par le procureur de la République de Paris à la suite d’un signalement du rapporteur général de l’Autorité sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article 40 du code de procédure pénale.
Le 6 septembre 2018 des perquisitions simultanées ont eu lieu dans les locaux de plusieurs sociétés appartenant aux groupes Schneider Electric, Legrand, Rexel, Sonepar et de la Fédération des Distributeurs en Matériel Électrique, ainsi qu’aux domiciles de la présidente et du directeur financier de Sonepar.
L’exploitation des milliers de pièces recueillies lors de l’instruction a permis de parvenir aux constatations suivantes.
Le système dit « des dérogations »
Les fabricants et les distributeurs de matériel électrique basse tension concluent des contrats-cadres annuels à l’issue de négociations commerciales portant, entre autres, sur le prix d’achat standard auquel les distributeurs pourront s’approvisionner auprès des fabricants.
Les contrats-cadres annuels prévoient la possibilité pour le fabricant d’accorder au distributeur des dérogations. Une dérogation se définit comme une remise sur le prix d’achat standard, accordée par le fabricant au distributeur pour que celui-ci puisse répondre à la demande de clients qui attendent parfois des prix inférieurs aux prix d’achat standards (ci-après « tarifs dérogés »).
Ces dérogations peuvent, pour un même client final, être soit de longue durée, soit ponctuelles dans le cadre d’un projet donné. Par ailleurs, si leur octroi et leur montant sont toujours autorisés par le fournisseur, elles sont en pratique demandées :
- soit directement par le client final : dans ce cas, le fabricant négocie directement un nouveau tarif avec le client final, sans que le distributeur prenne part à la discussion. Ce dernier obtient alors un avoir venant en déduction du prix d’achat standard ;
- soit par le distributeur, lorsque celui-ci souhaite se positionner sur une affaire spécifique sans que ses prix d’achat standards le lui permettent : dans ce cas, le distributeur sollicite le fabricant pour obtenir une dérogation en vue d’offrir à son client des prix compétitifs. Le distributeur communique au fabricant des informations sur l’affaire pour laquelle il souhaite obtenir une dérogation, pouvant comporter le prix de revente des produits au client final et/ou la marge qu’il souhaite obtenir sur la revente de ces produits. Le fabricant peut contacter le client final, afin de vérifier les informations communiquées par le distributeur et décider de l’opportunité d’octroyer ou non une dérogation, voire, s’il estime que les prix de revente sont trop bas, reprendre en direct les relations avec le client du distributeur.
Un système support d’une entente verticale sur les prix de revente
En l’espèce, l’Autorité a constaté que le mécanisme des dérogations n’était pas illicite dans son principe dans la mesure, notamment, où aucune disposition contractuelle n’interdisait à Rexel et Sonepar de pratiquer des prix inférieurs aux tarifs dérogés.
En revanche, l’instruction a permis d’établir que la mise en œuvre des dérogations a pu concrètement se traduire par une entente verticale sur les prix.
S’agissant de l’entente objet du premier grief, l’Autorité a constaté que plusieurs comptes rendus de réunions internes et bilatérales rédigés par les mises en cause établissaient directement, d’une part, la volonté de Schneider Electric de mettre en œuvre un système de prix fixes, d’autre part l’adhésion de Rexel et Sonepar à un tel système. Cette conclusion est en outre, en tout état de cause, amplement corroborée par l’ensemble des éléments du dossier.
S’agissant de l’entente objet du second grief, l’Autorité a également constaté l’existence de preuves directes et d’un faisceau d’indices précis, graves et concordants établissant la participation de Legrand et Rexel à un système de prix fixes. En revanche, aucune preuve directe ni aucun faisceau d’indices suffisamment précis, graves et concordants, n’a permis d’établir l’adhésion de Sonepar à une entente verticale dans le cadre des dérogations mises en oeuvre par Legrand.
S’agissant de la qualification des pratiques, l’Autorité a relevé, s’agissant de chacune de ces ententes, que la fixation par le fournisseur des prix de vente accordés par le distributeur au client final a constamment été qualifiée de restriction de concurrence par objet.
Cette analyse s’impose d’autant plus en l’espèce qu’il ressort de nombreux documents que le système de dérogations avait pour finalité de maintenir des prix standards élevés en France en limitant, notamment, la concurrence intra-marque. En conférant, dans ce contexte, aux prix dérogés un caractère fixe, les parties mises en cause ont limité de plus fort la concurrence intra-marque entre les distributeurs, au détriment des clients finals.
Les sanctions
Rappelant que les pratiques d’entente verticale sur les prix sont considérées de manière constante comme une des pratiques anticoncurrentielles les plus graves et prenant notamment en considération la connaissance, par les entreprises mises en cause, du caractère anticoncurrentiel de leurs agissements, l’Autorité inflige, au titre des deux ententes susmentionnées, des sanctions d’un montant total de 470 000 000 euros, qui se répartissent comme suit :
Entreprises |
Sanctions (en euros) |
Au titre du premier grief concernant le système de dérogations mis en œuvre par Schneider Electric |
Au titre du second grief concernant le système de dérogations mis en œuvre par Legrand |
Schneider Electric |
207 000 000 |
- |
Legrand |
- |
43 000 000 |
Rexel |
89 000 000 |
35 000 000 |
Sonepar |
96 000 000 |
- |
La décision fait l’objet d’un recours devant la Cour d’appel de Paris.